Artiste polyvalent et musicien passionné, Mathieu Gaudet poursuit depuis une vingtaine d’années une remarquable carrière de soliste, de chambriste et de chef d’orchestre. Il interprète un vaste [...]

Schubert: Intégrale des sonates et oeuvres majeures pour piano, Vol.4 - Explorations
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Volume IV : Explorations
Je ne suis venu au monde
que pour composer.
– Franz Schubert
Entre ses premières sonates « post-mozartiennes » et ses derniers chefs-d’œuvre de dimensions symphoniques, Schubert passe les années 1817 et 1818 à explorer les possibilités de la sonate pour piano : relations harmoniques inusitées, utilisation intensive des trilles, virtuosité exacerbée, longues répétitions d’accords, contrastes extrêmes de nuances. La Sonate en fa mineur, D. 625, est un des plus beaux exemples de cette seconde manière, au romantisme assumé, qui cherche à intégrer une communication émotive directe à une architecture solide. Le premier mouvement est, au même titre que celui de la Sonate en fa dièse mineur, D. 571, une des pages les plus lyriques de Schubert. Le mouvement lent, un Adagio en ré bémol majeur, parvient à incorporer des modulations surprenantes dans son développement, tout en respectant la continuité de ton. Le Scherzo & Trio est un des mouvements les plus énergiques du compositeur, alternant des suites d’accords répétés et des envolées de gammes-fusées. Il est en outre écrit dans la lointaine tonalité de mi majeur. L’Allegro final se présente comme une chevauchée haletante entrecoupée de chorals solennels, faisant allusion à tout un héritage de mythologie médiévale européenne.
Toujours en 1818, Schubert écrit une Fantaisie en do majeur dont on ne retrouvera la trace qu’en 1962 à Graz. Ouvrant la voie pour sa grande sœur la Fantaisie « Wanderer » de 1822, elle développe et varie un thème unificateur en différentes sections contrastantes, utilisant un idiome pianistique d’une virtuosité ostentatoire, assez étranger à Schubert. Il se pourrait qu’elle ait été écrite, du moins en partie, par son ami Anselm Hüttenbrenner. Elle n’en contient pas moins des moments de pure félicité qui en font une pièce à la fois touchante et rafraîchissante.
Schubert a composé des dizaines de cahiers de danses faciles d’abord, destinées à des amateurs ou des étudiants, convenant parfaitement aux soirées mondaines où le brouhaha des conversations prenait parfois le dessus sur la musique. Malgré cette destination, ce sont globalement de petits bijoux qui contiennent toute l’essence de son génie. Les Trois danses allemandes, D. 972, datent de 1823 et, malgré le fait qu’elles tiennent chacune sur deux lignes, elles parviennent à brosser de petits tableaux dont la ligne naturelle du chant égale la clarté de l’impulsion rythmique.
Les Moments musicaux, D. 780, écrits en 1823 et 1824, représentent les premiers essais de Schubert dans la forme du « chant sans parole » qui le mèneront ensuite aux huit Impromptus, D. 899 et 935, et aux trois Klavierstücke, D. 946. Bien que le corpus soit un amalgame par l’éditeur de pièces isolées, l’œuvre est néanmoins voilée d’une aura de beauté mystérieuse et jouit d’une grande faveur auprès des mélomanes et des interprètes.
Le gracieux menuet d’ouverture utilise d’emblée l’alternance majeur-mineur pour installer un climat harmonique ambigu. Son trio est un riche choral irradiant une lumière crépusculaire. Le deuxième volet explore les différents visages de la psyché humaine en alternant entre une méditation sur un rythme de berceuse et une mélodie brûlante en fa dièse mineur, d’une expressivité perçante. La répétition inattendue de cette mélodie, transformée en cri de désespoir venant du plus profond de l’être, crée un tel choc musical que Mahler reprendra le même procédé dans l’Andante moderato de sa deuxième symphonie. La troisième pièce, tout comme la Mélodie hongroise, D. 817, semble jaillir d’une petite boîte à musique, avec son rythme de marche sautillante et ses harmonies d’Europe de l’Est. Le quatrième moment musical est un hommage à Bach et à ses Inventions à 2 voix, mais toujours présenté à travers ce même filtre de mystère. Le trio d’une élégance sublime témoigne des profondes racines viennoises du compositeur. La folle cavalcade qui constitue le cinquième morceau, un exercice technique redoutable, renforce par contraste la grande poésie du mouvement final. Ce dernier est un long postlude mélancolique bâti sur une suite de soupirs, de grands gestes lyriques et de silences lourds de sens. Clef de l’œuvre, il est une fenêtre ouverte sur l’âme de Schubert et un cadeau merveilleux que le musicien nous rapporte de ses longues explorations intérieures.
© Mathieu Gaudet